A méditer
Demain va pour moi signer le début d'un grand travail de fond. J'ai toujours été quelqu'un de très complexé, de très sensible au regard d'autrui, ce à cause d'un physique qui a été jusqu'à mes 13 ou 14 ans plutôt ingrat, et qui m'a valu moqueries et rejets perpetuels depuis l'école maternelle. Même si je ne suis plus autant attachée à mon apparence qu'il y a encore deux ou trois ans, j'ai encore beaucoup de boulot de ce côté là car je ne supporte pas d'attirer l'attention des gens, ce qui est très paradoxal puisque je cultive un look décalé, que ma grande gueule fait souvent des siennes et que je ne fais rien pour m'intégrer. Je dois le supporter dans ces cas là car je me sens en position de force, je sais qu'il me suffit d'un regard noir ou d'une remarque bien sèche pour remballer les coups d'oeil torves, ce qui est d'autant plus drôle que les gens sont habitués à ce que l'on fasse profil bas et se retrouvent totalement démunis dès que je pique une crise de colère (ce qui peut m'arriver en pleine rue...) Mon look agressif est comme une carapace qui hurle tout de suite à la face de la populasse que je l'emmerde et que je ne fais pas partie du troupeau, et couplé à mes piercings et mon maquillage digne de la famille Adams, personne ne s'y trompe. D'emblée, ça fait "peur" et on ne m'emmerde (presque) pas. Ca pose problème dès qu'il s'agit de s'intégrer, et je suis la première à râler ensuite sur le délit de sale gueule dont j'ai souvent été victime en cours (et pas par les profs de religion, bizarrement) mais au final je m'y fait bien car je n'aime rien tant que prouver ma valeur pour envoyer une grosse baffe dans la tronche des enseignants obtus. Mon maquillage est ce que je considère comme le plus important et primordial dans mon style, car même si je suis vêtue, comme cela m'arrive, d'un simple jean ou d'une robe à fleurs, il continue à clâmer mon appartenance à un autre monde peu conformiste. Je le surnomme mon "masque ko" en référence au masque ko-omote du théâtre Japonais, dont il est l'un des nombreux masques Nô et représente l'idéal de la jeunesse et de la naïveté, symbolisée par un calme visage de jeune fille. C'est encore une fois un paradoxe car je suis trèèès loin du compte, mais c'est mon rituel du matin... Je me lève, je prends ma douche, et je mets mon masque. Autrement dit, je me maquille. Je cache la "vrai moi", je l'ensevelis sous le noir, j'agrandis mes yeux, je mystifie mon regard, et je suis prête à affronter l'extérieur ; je deviens plus belle, plus sombre, plus inaccessible. C'est le côté obscur de Marianne qui prend le pied. Un côté obscur pour combattre le côté obscur de ma vie : mes relations avec le monde réel, que j'abhorre. L'enfer, c'est les autres... Si vous m'avez déjà vue sans maquillage, c'est que je vous fais confiance. J'accepte ainsi de me dépouiller, de me mettre à nu et de vous dévoiler mon vrai visage, au sens littéral comme au sens figuré.
En ce moment je redécouvre totalement Rousseau, et malgré mon aversion pour le personnage, ces discours me sont pour l'heure d'une grande aide et je médite pas mal dessus. J'ai beaucoup relativisé grâce à cela sur mes habitudes de vie, sur mes relations avec autrui ainsi que sur les réseaux sociaux qui me dégoûtaient de toute façon depuis un petit bout de temps déjà, d'où mon envie de "mexcentrer" et de lâcher mon ordinateur.
"Il fallut, pour son avantage, se montrer autre qu'on était en effet. Etre et paraitre devinrent deux choses tout à fait différentes (...) D'un autre côté, libre et indépendant qu'était auparavant l'Homme, le voilà, par une multitude de nouveaux besoins, asujettis à ses semblables, dont il devient l'esclave en un sens, même en devenant leur maître."
Rousseau parlait des débuts de l'humanité, lorsque l'Homme, sortant de son état animal de base, a du se regrouper pour assurer sa survie ; l'alterité, la confrontation avec l'autre, ont développé son amour-propre, fruit de tous les vices et de tous les maux qui l'accablent encore aujourd'hui (et aujourd'hui plus que jamais) En se comparant à l'autre, l'homme se met à jalouser, envier, ou craindre de n'être pas assez bien, pas assez conforme. Il commence donc à vivre en fonction du regard de l'autre en permanence.
"Le sauvage vit en lui-même, l'Homme sociable toujours hors de lui et ne sait vivre que dans l'opinion des autres et c'est pour ainsi dire de leur seul sentiment qu'il tire le sentiment de sa propre existence."
Nous vivons par l'autre, pour l'autre. Il n'y a pas qu'Orwell qui ait été un visionnaire. Rousseau ne savait pas encore à quel point le développement d'internet et des réseaux sociaux allait amplifier la catastrophe. A présent, grâce aux blogs, Twitter et autres Facebook, tout ce que l'on fait doit être validé par les autres, lu et approuvé. Tout ce que l'on vit dans la journée, ce que l'on voit, les vêtements que l'on portait, doivent être relatés, photographiés pour être postés, sinon ils n'ont pas lieu d'être. Avant, nous nous faisions beaux pour sortir, mettions nos nouveaux vêtements, tous contents, pour aller étudier ou travailler, fiers de les exhiber aux passants ou a notre entourage. Le cercle est à présent plus vicieux et plus resséré. Il faut les montrer A LA PLANETE ENTIERE. Et plus on entre dans le jeu, plus la spirale est infernale ; pas besoin de citer les excès de certaines personnes qui s'exhibent au delà du concevable, ne faisant plus de différence entre le réel et le virtuel, ne se sentant exister qu'à travers le regard des "lecteurs". Je suis comme une junkie en cours de desintox, j'essaye de m'éloigner de toute cette agitation malsaine et terriblement fausse. Je suis même surprise de voir à quel point j'y arrive bien !
"Tous cherchent le bonheur dans l'apparence, nul ne se soucie de la réalité. Tous mettent leur être dans le paraître ; tous, esclaves et dupes de l'amour-propre ne vivent point pour vivre mais pour faire croire qu'ils ont vécu."
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmis les hommes, Rousseau. Pour moi, un grand visionnaire...
Demain donc, je poserai pour Tatiana en plein centre de Metz, et je devrai mettre et ma peur du regard des autres ainsi que mon amour-propre de côté, faire abstraction du monde environnant pour me concentrer sur mon but. J'espère vraiment réussir à vaincre ma phobie sociale et ne rapporter que du positif de cette expérience, moi qui n'ose même pas entrer seule dans une boutique. Deux objectifs : ne pas apparaitre sur les photos crispées et aussi naturelle qu'un manche à balais, et n'assassiner personne. Vaste programme, donc. Mais pour Tatiana, la personne qui m'aide le plus en ce moment, je ferai n'importe quoi ^^ De plus, le thème de la scéance me parle évidemment beaucoup...
Images tirées de la magnifiqu BD Sambre, à la fois dans l'esprit du travail qui sera réalisé demain, et dans mes idéaux du moment. En ce qui me concerne, la Révolution doit être globale, aussi bien extérieure qu'intérieure... C'est maintenant une question de survie.